Claudette Lemay

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JARDIN | installation audio-vidéo | | 2005 | (démo)

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« La capture du temps. Une petite maison de verre givré est posée sur une structure faite de bois aggloméré. Une luminosité quasi spectrale éclaire ses parois et nous présumons, pour cette raison, que l’écran se loge à l’intérieur de l’habitacle. Le fait que le dessus de son socle soit recouvert de tapis gazon la fait ressortir davantage. L’œuvre Jardin prend l’apparence d’une île isolée où se trouve un semblant de nature. Nous avançons donc vers la maison à échelle réduite – représentation qui renvoie d’ailleurs au bâtiment qui nous contient par excellence – avec l’indubitable envie de regarder à l’intérieur. Nous y trouvons sur le toit une minuscule ouverture de forme carrée et approchant, nous plissons d’emblée un œil pour mieux y plonger de l’autre.

C’est ainsi que nous découvrons un jardin de trèfles qu’une promeneuse arpente. L’espace du dehors se trouve projeté dans l’espace clos de l’intérieur et crée un renversement qui subjugue notre expectation. Le minuscule bâtiment y apparaît comme un périmètre de projection et ayant la tête baissée, nous pouvons aisément nous identifier à la marcheuse.  Ses pieds vont et viennent dans le champ de l’image. Un peu comme si la personne signifiée par les deux extrémités de jambes était dans un état de recherche. La suite de pas qui défile ne correspond pas à la marche ralentie d’une promenade ou à celle réglée d’un déplacement. Les allers-retours dégagent une beauté hachurée et répétitive; ils restent rivés au sol et attachés au contact des plantes herbacées. Le fragment de paysage offert est saisi dans son lien avec le corps qui y transite. Et d’une certaine façon, le mouvement incertain devant lequel nous sommes appartient à l’agitation d’un individu anonyme. Il s’agit peut-être d’une pérégrination vide et salutaire pour faire référence à Paul Auster qui, dans un des romans de la Trilogie new-yorkaise, attribue la figure de la marche au personnage de Quinn qui inlassablement sortait marcher pour mieux se « quitter lui-même1» et en venir au constat qu’« errer était donc une façon de se soustraire à son esprit2. » Ce qui revient à dire que le va-et-vient de la marche implique inévitablement un parcours que celui-ci soit physique ou imaginaire, absorbant ou fuyant.

Claudette Lemay fait ainsi de la marche son motif, qu’elle signifie également dans celui du temps qui passe – marche inexorable s’il en existe une. Elle montre sa présence par l’avancée du jardin de trèfles qui se transforme et se démultiplie tout au long de la séquence. L’impression est renforcée par la trame sonore qui ouvre un autre espace : une voix intérieure pressée – en l’occurrence celle de l’artiste – scande différentes paroles indiscernables, qui s’apparentent aux souvenirs d’une mémoire labile qui n’arrive plus à se dire, qui ne parvient pas à se raconter. Des effets sonores semblent rendre compte d’une mutation et bruissent dans le casque d’écoute. Regardant l’univers pour le moins intime qui nous est livré, nous ignorons lors de cette première incursion dans l’œuvre qu’il s’agit du dernier plan de la vidéo antérieure de l’artiste intitulée Rentre chez toi III. La fin précédente devient ainsi le départ de l’œuvre à venir et transporte de manière indicible ce qui existait avant et ce qui s’imbrique toujours dans la capture de ses nouvelles images. L’œuvre interroge ce qu’elle porte en elle-même et apparaît, isolée sur son île, comme une sorte de mise en abîme. »

1Paul Auster, Trilogie new-yorkaise, Arles, Actes Sud, 1991, p. 16.

2Ibid., p. 93.

Texte: Julie Belisle. 2007. Cubicules, catalogue d'exposition. « Claudette Lemay. La captation du temps. » Montréal: Perte de Signal, p. 44-51.

Présentée dans le cadre de l'exposition Cubicules produite par Perte de Signal et qui a circulé dans six lieux entre 2005 et 2007 : Centre d'exposition de Mont-Laurier, Galerie d'art d'Ottawa, Musée d'arts contemporains des Laurentides, Image Festival de Toronto, Galerie du Nouvel Ontario à Sudbury, Espace de la Bande vidéo à Québec.